Paysages carnivores (2019)

Avec leurs parcours sinueux à travers la forêt, les routes 138 et 389 sont inévitablement le théâtre de confrontations entre la civilisation et la nature, souvent fatales pour les deux parties. C’est une peur typiquement nord-côtière de frapper un cervidé avec son véhicule en prenant la route après le coucher du soleil. Peu importe l’espèce, la vue d’une bête écrasée en bordure de route n’est également pas quelque chose de très plaisant pour la plupart des gens, tant après coup que dans le cœur de l’action. C’est malgré tout un élément omniprésent dans le paysage boréal. C’est l’idée de ce paysage, prédateur à sa façon, qui m’a inspiré le titre Paysages carnivores pour cette série montrant à grande échelle des détails d’animaux accidentés ( «roadkills» ).

Sans devenir abstraits, ils facilitent l’exercice de passer outre au sujet grâce au format de ses éléments et à leur composition. La facture visuelle et les nuances riches nous y font voir de grands paysages fictifs aux atmosphères chaudes et carnées. Le regardeur se retrouve ainsi devant une esthétisation des textures et des couleurs d’un sujet qui ne lui évoque habituellement aucune beauté, bien au contraire. Cet état contradictoire amène à questionner l’ambiguïté entre contemplation et répulsion, entre chairs alimentaires et chairs corporelles, entre l’interne et l’externe, entre le malaise acquis et son objectivité. La série rend en même temps compte des sacrifices nécessaires à une accessibilité du territoire nord-côtier pour ses habitants, un enjeu dont l’importance est difficile à cerner lorsque l’on est issu des grands centres.